Benjamin Bouvier
Benjamin Bouvier

Des recommendations de 2022

Posted on Wed 12 July 2023 in blog • 9 min read


Quel délice de retomber sur / d'achever le brouillon de ce billet que je voulais publier en Janvier 2023. Je n'interromprais son précédent chapeau que de manière minimale, afin de savourer avec vous la douce ironie qui s'en dégage.

Pour ce début d'année 2023, plutôt que de vous faire une rétrospective des contributions ou productions que j'aurais effectuées l'année précédente, j'aimerais revenir sur quelques médias et oeuvres que j'ai appréciés au cours de l'année 2022 et que je voudrais maintenant partager avec vous. Ce qui aurait pu être une tempête de toots prendra la forme d'un billet de blog, pour renouer avec la tradition originelle de l'expression personnelle à travers le blog, et mettre de côté l'aridité froide et robotique des billets techniques qui ont conquis ce domaine et son nom.

Si vous avez dépassé un certain seuil de temps en ma présence, il y a des chances que je vous ai déjà parlé d'au moins une, si ce n'est l'intégralité, de ces recommandations. Et comme il me semble qu'une recommandation n'a de valeur que si elle est un tant soit peu unique, ou à défaut, rare, dans sa catégorie, j'essaierai de limiter le nombre d'items que je mettrais en avant à deux. En suivant la divise du minimalisme : moins serait impossible, plus serait superflu. Je me laisse un droit divin à enfreindre la règle que j'aurais auparavant créée, plaisir égoïste du dramaturge.

Livres

L'élégance du hérisson - Muriel Barbery

Je lis relativement peu de fiction, et j'ai un fétiche pour la belle écriture, celle qui abuse de la license poétique, du vocabulaire abscond, de tournures pédantes, qui référence ouvertement et cligne des yeux aux Grand·e·s Auteur·ice·s. L'Élegance du Hérisson est une œuvre de ce groupe. Ce livre raconte l'histoire d'une enfant surdouée qui planifie son suicide pour échapper à la vacuité de la vie d'adulte ; et de sa rencontre avec une concierge d'immeuble qui feint une imbécilité présupposée par sa situation sociale, mais cache une passion pour la grande littérature et une capacité d'analyse féconde. Attention, ce livre nécessite la proximité d'un dictionnaire, tant l'autrice s'exalte à utiliser un jargon soutenu, parfois désuet, souvent resplendissant. J'ai d'abord apprécié ce livre par empathie avec la personne qui me l'a recommandé, par appréciation de cette écriture si riche, puis en progressant dans ma lecture, pour son histoire courte, intense, et ses personnages principaux, délicats et subtils. Askip l'adaptation cinématographique ne vaut pas vraiment le coup.

Ministry For The Future - Kim Stanley Robinson (en anglais)

Un livre d'anticipation politique dans un sous-genre de la science-fiction, découvert avec ce roman : la cli-fi, ou climate fiction dans la langue de Shakespeare, soit de la science-fiction climatique dans la langue de Molière. Le prémisse initial est qu'une catastrophe liée au changement climatique a lieu dans une nation très peuplée. Ses gouvernant·e·s ne supportent plus de subir les effets de l'inaction politique mondiale, et décident d'utiliser des méthodes disproportionnées et radicales pour atténuer les effets du changement climatique. Les autres pays ne peuvent pas laisser faire, et décident de fonder ensemble une institution trans-gouvernementale, pensez du niveau de l'O.N.U., afin de prendre en commun ce genre de décisions, et dont la mission est de préserver l'avenir des générations futures de toutes les espèces vivantes, humain·e·s ou non : le Ministère pour le Futur, d'où le roman tire son nom. Ce roman se présente donc comme une immense expérience de pensée politique et stratégique, racontée des points de vue de multiples héros et héroïnes, portée par une répartition d'un chapitre par protagoniste. Même si la forme peut parfois donner du fil à retordre, le fond est extrêmement crédible : il n'y a pas d'invention miracle qui sauve tout le monde en un clin d'œil, toute la science décrite semble correcte pour l'œil inavisé que j'y porte. Les angles abordés sont exhaustifs, alternant moyens de pressions économiques (presque envie de croire que la méthode de crédit carbone pourrait fonctionner), solutions purement techniques d’ingénierie climatique (décrites avec beaucoup d'ironie), mais aussi les moyens plus transgressifs, comme l'éco-terrorisme (le vrai, hein, pas celui qu'un gouvernement trop réel fantasme en paniquant). Gros coup de cœur de cette année. Inclus, en bonus : Toutes Les Méthodes Pour Sauver Votre Iceberg Favori D'Une Fonte Un Peu Trop Rapide ; La Numéro 4 Va Vous Étonner.

Bandes dessinées

47 cordes (1ère partie)

Timothée Leboucher, l'auteur du fantastique (et fantastique) Ces jours qui disparaissent, revient avec une histoire du même acabit. Malgré un dessin que je trouvais parfois froid, de par ses tons pastel, l'histoire racontée s'avère fascinante, un ultime thriller fantastique, des personnages complexes qui évoluent au cours du temps, plusieurs sous-trames qui tournent les unes autour des autres et semblent vouloir se découper. Mon seul reproche sera d'avoir découvert seulement à la fin que l'histoire ne se finissait pas, et qu'il y aurait au moins un autre tome. Bien joué Timothée.

Grandeur et Décadence

Relecture de l'album de Liv Stromquist, autrice de bande dessinée suédoise. Malgré une expression graphique trop brute, simpliste et abusant du collage à mon goût, j'ai apprécié de relire cette excellente vulgarisation de sociologie, morcelée de psychologie et d'éclats de philosophie politique. Notamment découvrir cette étude qui décrypte pourquoi les mouvements progressistes ne gagnent pas les élections politiques. On y parle de morale du Prince ou de l'Esclave (merci Nietzsche), de triomphe du moralisme avant la politique. Très bon à lire si vous vivez mal votre (im)pureté militante. Plusieurs autres sujets y sont abordés : déconstruction de la philosophie individualiste néolibérale d'Ayn Rand, ainsi que plusieurs sujets toujours proches de thèmes féministes et sociétaux.

Vidéos en ligne

La chaîne d'Elizabeth Filips (en anglais)

Ce qui, à la première apparence, ressemble à une pénultième chaîne de productivity porn en est, finalement, presque tout le contraire : une critique des clichés du productivisme individualiste irréfléchi, avec malgré tout quelques techniques efficaces, au moins pour elle qui présente. J'ai apprécié comment la chaîne s'engouffre dans la psychologie, notamment dans cette vidéo. Et avec en bonus, ce débit de parole soutenu et rapide, appréciable pour mon attention volatile.

La chaîne de Tom Nicholas (en anglais)

Malgré une légère propension au titre racoleur, un ton vaguement hautain mais peut-être uniquement dû à un accent caractéristique de son Royaume-Uni natal, Tom Nicholas explique des phénomènes de société avec une argumentation extrêmement logique, souvent irréfutable et toujours très bien soutenue. Voyez plutôt : comment Big Pharma prolonge la pandémie ? Voilà une vidéo qui exprime bien la dualité entre la forme, titre aux accents complotistes et attrape-cliquons, et le fond, un contenu dense, strictement bien structuré, raisonnable et brillant.

La chaîne d'Alice Cappelle (en anglais)

Je m'étais promis de briser ma règle de deux recommandations maximum par catégorie. Alors pour la chaîne, en anglais, de la française Alice Cappelle, j'entorserai la loi. Déjà, parce que j'ai une fascination pour ce tee-shirt lisant Biloute sur un design Obey-esque. Ensuite, parce que son analyse de la situation politique en France y est si limpide que j'utilise régulièrement ses vidéos auprès de mes connaissances anglophones comme exposé succinct et complet de notre démocratie en perdition. Enfin, pour toutes les vidéos passionnantes qui traitent de sujets de société et de sociologie qui me sont parfois étrangers, parfois plus proches mais pour autant pas familiers. Au point que je lui donne régulièrement via son Patreon pour la soutenir dans cette activité. Bravo / merci Alice.

Jeux vidéos

Stray

Quand je tombe sur un jeu de simulation de chat comme celui-ci, je me dis qu'on est félins pour l'autre. Dans un futur dystopique aux néons cyber-punks, on incarne un pôti-chat perdu, à la recherche de ses pairs, se faufilant dans un monde habité par des robots désœuvrés (mais pas assez déconnectés pour ne pas câliner le matou). On s'amusera à gratter aux portes, à griffer des tapis, à pousser très doucement des objets d'un revers de la patoune afin de causer leur chute sur le sol. Une grande déambulation esthétique. Pas mal, non ? C'est français.

Films

Sans Filtre (Triangle of Sadness)

Le réalisateur Ruben Östlund avait déjà sorti Force Majeure et The Square quelques années plus tôt, des films qui m'avaient stupéfait de par leur absurdité. Ici, c'est reparti pour un tour : bien sûr, en commençant par des dialogues ahurissants pour se mettre dans le bain, une bonne dose d'humour trash, avant un renversement complet du scénario et des rôles. Suite à un accident sur un yacht de grand standing, des personnalités bourgeoises se retrouvent ramenées à une condition d'humain·e·s obsédé·e·s par leur survie au jour le jour, aux côtés d'autres survivant·e·s, prolétaires, dont les rôles étaient de servir les premières. Vraiment fun ; pas nécessairement une critique du capitalisme si profonde que ça, comme le décrivaient certain·e·s. C'est par ce film que je découvre pour la première fois l'artiste de musique électronique Fred Again, un de mes coups de cœur de ce début 2023.

Séries

The Dropout

Un biopic, en une saison, sur la vie d'Elizabeth Holmes, dont la carrière professionnelle a décrit un parcours de montagnes russes. Après avoir quitté Stanford avant d'obtenir son diplôme (The Dropout, vous l'avez ?), elle créé une startup de bio-tech, revendiquant un appareil de diagnostic médical très précis, qui ne nécessite pour son dessein, qu'une simple goutte de sang (The Drop out, vous l'avez ?). Depuis, la justice a tranché : il s'agissait d'une arnaque auprès du grand public et d'investisseurs trop zélés. Bien sûr, un biopic est partial, et l'accusation rétrospective est toujours facile. Pour autant, j'ai apprécié la description de cette descente aux enfers : partant de l'empathie initiale d'une envie grandiloquente de changer le monde positivement, pour, sans qu'un vrai déclic ne se fasse, ne devenir vite qu'un mensonge se renfermant contre une protagoniste qui s'obstine dans une fantaisie sans limite. Ça se binge-watch très bien, et de ce que j'ai compris de la page Wikipedia sur l'affaire, ça colle plutôt à la réalité des évènements.

Severance

Une série fantastique, sur plusieurs saisons, a priori. Vous connaissez le concept d'équilibre vie-privée / vie-professionnelle ? Maintenant, imaginez qu'il est possible, par la force de la Science à travers une opération chirurgicale appelée la Severance, de dissocier complètement ces deux aspects au sens premier du terme. Une fois au travail, plus aucun souvenir de la vie personnelle ; une fois revenu, plus aucun souvenir du travail. En partant d'une expérience de pensée aux ramifications édifiantes, la série se prolonge avec une découverte des personnalités duales de chacun·e de ses protagonistes. Notamment le principal, joué par un Adam Scott qui, après l'avoir connu dans des rôles plus légers dans Parks & Recs ou The Good Place, abandonne ici toute velléité humoristique, et emprunte les traits d'un dépressif chronique en plein deuil, difficilement reconnaissable. Avant de découvrir un complot dans l'entreprise qui embauche son avatar professionnel… L'esthétique, très appréciable, se veut rétro-futuriste positiviste, catégoriquement minimale, très Apple TV. On notera notamment la police de caractères du titre, qui ressemble à la classique Helvetica de la marque à la pomme, légèrement remaniée. Une série palpitante.

Podcasts

We Have Concerns

Deux acteurs de théâtre d'improvisation, amis de longue date, montent un podcast ensemble, et choisissent de traiter des découvertes scientifiques les plus absurdes. Par émission, un ou deux sujets tirés de papiers de recherche ou de journaux scientifiques récents, sont disséqués, rapidement expliqués et commentés avec moult mauvaise foi et sarcasme. Il arrive qu'après un épisode, on ait vaguement retenu une statistique ou un fun fact qui nous feront briller en soirée mondaine. Petite pensée émue pour Nical, l'ami qui m'a fait découvrir ce podcast, et qui rappelle, à qui veut l'entendre, ce fait étonnant appris lors d'un épisode qu'environ 7% de la population humaine à avoir jamais vécu, est toujours en vie. Après s'être répété la phrase trois fois dans sa tête, on se dit, oui Nical, c'est effectivement étonnant ; plus sérieusement, merci à lui de me l'avoir fait découvrir. Il s'agit, pour moi, du mélange idéal entre vulgarisation de science étonnante, frisant l'absurde, et d'improvisation humoristique talentueuse et inspirante. Un vieil épisode relativement court vous indiquera votre niveau d'accointance avec le podcast. Personnellement, j'aime tant qu'ils font partie des rares créateur·ice·s que je soutiens financièrement, alors je ne peux que fortement vous le recommander.

Huberman Lab

D'accord, j'avoue tout, je suis encore en rémission de mon addiction au développement personnel, d'autant plus quand il est amené sur un plateau en Ag(47) avec des sources scientifiques solides comme du graphène. Comment optimiser son sommeil, d'après les dernières recherches sur le sujet ? Comment améliorer son humeur, d'après une méta-analyse des meilleurs papiers dans le domaine ? Les questions sont variées et toujours abordées sous plusieurs angles : des simples changements comportementaux "faciles" à mettre en place, mais aussi l'impact de la nutrition, jusqu'à l'usage de compléments alimentaires pour les plus empiriques et aventurièr·e·s d'entre nous ; bah oui, faut bien caser sa publicité ! Spoiler alert quant aux conclusions, nos grands-parents avaient raison : l'important, au final, c'est toujours de faire du sport (beaucoup), bien dormir (pas trop), s'exposer au soleil (un peu), manger varié et équilibré (toujours). Mais maintenant, au moins, chaque conseil s'appuie individuellement sur 3 heures exhaustives et scrupuleusement justifiées, pondérées, interprétées, validées, contre-validées, 3 heures par épisode de podcast donc, et ça, ça fait plaisir au gestionnaire borné, rebelle et contrôlant qu'est mon cerveau indocile.

Et pour finir, seulement deux titres de musique